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Jean-
TEXTE
«L'enfer, c'est les autres» a été toujours mal compris. On a cru que je
voulais dire par là que nos rapports avec les autres étaient toujours
empoisonnés, que c'étaient toujours des rapports infernaux.
Or, c'est tout autre chose que je veux dire. Je veux dire que si les
05 rapports avec autrui sont tordus, viciés, alors l'autre ne peut être que
l'enfer.
Pourquoi? Parce que les autres sont au fond ce qu'il y a de plus
important en nous-
mêmes.
10 Quand nous pensons sur nous, quand nous essayons de nous
connaître, au fond nous usons des connaissances que les autres ont
déjà sur nous. Nous nous jugeons avec les moyens que les autres ont,
nous ont donnés de nous juger. Quoi que je dise sur moi, toujours le
jugement d'autrui entre dedans. Quoi que je sente en moi, le jugement
15 d'autrui entre dedans. Ce qui veut dire que, si mes rapports sont
mauvais, je me mets dans la totale dépendance d'autrui. Et alors en effet
je suis en enfer. Et il existe une quantité de gens dans le monde qui sont
en enfer parce qu'ils dépendent trop du jugement d'autrui. Mais cela ne
veut nullement dire qu'on ne puisse avoir d'autres rapports avec les
20 autres. Ça marque simplement l'importance capitale de tous les autres
pour chacun de nous.
Deuxième chose que je voudrais dire, c'est que ces gens ne sont pas
semblables à nous. Les trois personnes que vous entendrez dans Huis
Clos ne nous ressemblent pas en ceci que nous sommes vivants et
25 qu'ils sont morts.
Bien entendu, ici, «morts» symbolise quelque chose. Ce que j'ai voulu
indiquer, c'est précisément que beaucoup de gens sont encroûtés dans
une série d'habitudes, de coutumes, qu'ils ont sur eux des jugements
dont ils souffrent mais qu'ils ne cherchent même pas à changer. Et que
30 ces gens-
cadre de leurs soucis, de leur préoccupations et de leurs coutumes; et
qu'ils restent ainsi victimes souvent des jugements qu'on a portés sur
eux.
À partir de là, il est bien évident qu'ils sont lâches ou méchants, par
35 exemple. S'ils ont commencé à être lâches, rien ne vient changer le fait
qu'ils étaient lâches. C'est pour cela qu'ils sont morts, c'est pour cela,
c'est une manière de dire que c'est une mort vivante que d'être entouré
par le souci perpétuel de jugements et d'actions que l'on ne veut pas
changer. De sorte que, en vérité, comme nous sommes vivants, j'ai voulu
40 montrer par l'absurde l'importance chez nous de la liberté, c'est-
l'importance de changer les actes par d'autres actes.
Quel que soit le cercle d'enfer dans lequel nous vivons, je pense que
nous sommes libres de le briser.
Et si les gens ne le brisent pas, c'est encore librement qu'ils y restent. De
45 sorte qu'ils se mettent librement en enfer.
Vous voyez donc que, rapports avec les autres, encroûtement et liberté,
liberté comme l'autre face à peine suggérée, ce sont les trois thèmes de
la pièce. Je voudrais qu'on se le rappelle quand vous entendrez dire:
«l'enfer, c'est les autres».
de: http://www.philagora.net/philo-
590 mots env.
1. COMPRÉHENSION
1.1. Quels sont, selon Sartre, les trois thèmes de la pièce?
1.2. Quelle interprétation simpliste Sartre refuse-
1.3. Que signifie dans le contexte «être mort»? Relevez dans le texte les expressions qui caractérisent cette attitude.
2. ANALYSE et DISCUSSION
2.1. Divisez le texte donné en paragraphes et trouvez un titre pour chaque paragraphe et pour tout le texte.
2.2. Quelle est, selon vous, l'idée centrale de la pièce de Jean-
2.3. De quelle manière Sartre a-
2.4. Est-