F - Stufe 12 - Arbeit Nr. 10 - GreenButterSolutions

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F - Stufe 12 - Arbeit Nr. 10

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Rudi Dutschke
 

Rudi Dutschke

 


TEXTE


La société en question
 
Les brutalités de la police? On ne s'engage pas dans les C. R. S.1 avec une
vocation pédagogique. Étudiants ou pas, ils font ce pour quoi on les
appelle: ils cognent.
Nous ne saurons jamais comment les choses auraient tourné si le recteur
05   de l'Académie de Paris avait laissé la manifestation, organisée le
vendredi 3 mai, dans la cour de la Sorbonne, se dérouler selon les traditions
académiques, c'est-à-dire sans y mêler la police. Le fait est qu'il l'a
sollicitée, que les étudiants du Quartier latin ont vu leurs camarades
embarqués comme des malfaiteurs, et qu'une majorité d'étudiants et
10   d'enseignants en a été profondément choquée.
Bien avant d'embraser Nanterre2, Marx nous a appris qu'il fallait faire
«l'analyse concrète des situations concrètes». C'est toujours une bonne
méthode, même pour tenter simplement de comprendre comment
l'insurrection a soulevé les étudiants de France, après tant d'autres.
15   Donc, fait concret et, pour ainsi dire, historique: étudiants et
enseignants, très généralement hostiles au petit groupe des «enragés» de
Nanterre, en étaient rendus provisoirement solidaires, avec les résultats
que l'on sait. Une situation nouvelle était créée. Cela, du moins, est clair.
Comme il est clair que la plupart des manifestants n'avaient pas
20   l'expérience de ce qui vous arrive quand on frotte les oreilles d'un
C.R.S. «Racontez-moi, grand-mère, racontez-moi ...». Qu'ils en aient conçu
plus de fureur encore, on peut le comprendre. Mais que leurs aînés ne
fassent pas semblant.
Le reste exigerait une analyse plus fine, car plusieurs plans se mêlent.
25   Schématiquement: La crise générale de l'Université? Bien sûr.
Gonflement formidable des effectifs depuis dix ans, inadaptation de
l'enseignement prodigué dans les facultés (514000 étudiants) qui ne
conduit, singulièrement dans les facultés de Lettres, à aucun débouché ...
On a tout dit à ce sujet.
30   Les facultés n'ont jamais eu pour s objet de préparer à la vie
professionnelle — fonction réservée aux grandes écoles — mais de
dispenser une bonne culture générale à des jeunes gens aisés, et de
former des maîtres. Laissons les maîtres, encore que le problème soit
vaste. Les étudiants sont, aujourd'hui, dans la situation de jeunes gens qui
35   suivraient des cours par correspondance non corrigés pour essayer
de passer des examens stériles. Cela n'est un peu moins vrai que pour les
facultés; de Sciences et, surtout, de Médecine, qui sont d'ailleurs
sensiblement moins agitées. On en sort bon pour le service de la société,
inculte mais spécialisé.
40   Si importante que soit la question des débouchés, elle en dissimule
d'autres dont on parle moins. L'entrée dans la vie sociale, c'est
l'arrachement à la sécurité de l'enfance. Un nombre indéterminé de jeunes
gens en a peur. Il y a de quoi. On peut réclamer d'être traité en adulte sans
être prêt à assumer la douleur de devenir adulte, d'accepter la Vie.
45   Beaucoup de ceux qui se dirigent vers les fameuses «études sans
débouché» et s'éternisent dans les facultés de Lettres s'y trouvent parce
qu'ils prolongent ainsi le temps de l'irresponsabilité. Et pour retarder le
moment où ils ressembleront à leur père.
Ils y apprennent les sciences humaines. On l'aura remarqué: c'est, partout,
50   le creuset des révoltes sauvages. Que cache donc ce vocable
grandiose: sciences humaines? Une étude des sociétés qui, à aucun
moment, ne rend compte, en allant au fond, des aspects non économistes
des comportements humains.
Des connaissances bonnes à faire des enquêteurs pour instituts de
55   sondages. Freud au service des études de marché. Comme si l'on
apprivoisait le feu en le détournant de ce qu'il risque d'éclairer! C'est peu
d'évoquer «le malaise» des étudiants en sociologie et en psychologie,
conscients ou non de l'inadéquation de l'enseignement au dévoilement
qu'il se propose.
60   Tous les problèmes d'enseignement sont complexes et ne comportent
aucune solution simple que des esprits obtus refuseraient d'appliquer.
Encore faut-il les poser, non les escamoter.
Enfin il y a la nature, particulière de la société où nous sommes. Vingt ans,
c'est l'âge où il est sain, logique, normal de vouloir «changer la vie».
65   «Une partie de la jeunesse — et pas seulement de la jeunesse —
entretient, selon la formule d'Herbert Marcuse, «la conviction que la vie
humaine est digne d'être vécue ou, plus exactement, qu'elle peut l'être et
qu'elle doit être rendue telle».
C'est l'a priori de toute théorie sociale, de tout ce qui a conduit des
70   hommes à être, en leur temps, des agents de transformation de la
société en s'opposant à ce qui existe.
Romantisme? On a vite fait de baptiser «romantisme» ce qui dérange.
Pourquoi ce romantisme prend-il aujourd'hui ce caractère violent et
quasiment nihiliste? Toujours selon Marcuse, l'originalité des sociétés
75   industrielles modernes est d'absorber toutes les oppositions et de les
faire, en quelque sorte, contribuer à la cohésion sociale. Tous les
antagonismes sont émoussés. Même l'art est privé de sa force subversive,
de sa vertu de «refus». Il est devenu l'un des rouages de la machine qui
moud la «culture pour tous» en même temps que l'automobile pour tous
80   et l'érotisme pour tous. Plus une société est prospère, plus elle est
tolérante, avec tout ce que cela comporte de positif. Plus elle est tolérante,
plus elle laisse se développer les oppositions et les refus jusqu'à les
intégrer.
D'une certaine manière, l'étonnement indulgent avec lequel est
85   généralement accueillie la révolte étudiante corrobore cette analyse.
On cherche inconsciemment à l'annuler en l'acceptant. Même les bébés ne
protestent plus sans qu'on les prenne dans les bras quand ils pleurent.
En face de cette société édredon, de ce caramel mou qui amortit tous les
coups, il ne peut plus y avoir sentiment d'opposition que dans la
90   contestation radicale, globale, de tous les éléments qui constituent
cette société. Y compris le Parti Communiste.
Que l'on souscrive ou non à cette interprétation des soulèvements
d'étudiants minoritaires mais farouches, qui se produisent dans toutes les
sociétés industrielles, elle a le mérite d'exister en face de
95   «l'incompréhensible», et peut-être d'expliquer pourquoi, en face de
C.R.S. nullement disposés, eux, à «intégrer» les étudiants, ceux-ci ont
retrouvé la brève ivresse de l'opposition concrète, physique, libératrice.
Après? C'est ce qui manque: la définition de l'après pour quoi l'on se bat.
Elle se dégagera, lentement. Il faut être bien las ou bien vieux pour ne pas
100   sentir que, dans les tumultes d'aujourd'hui, ceux d'ici et ceux
d'ailleurs, la jeunesse du monde est en train d'inventer en tâtonnant les
sociétés où elle vivra, vieillira et s'engluera à son tour.
 
de: L'EXPRESS, N» 882 - 13 mai 1968

1050 mots env.


Annotations:

1. C.R.S.: Compagnies Républicaines de Sécurité. Les C.R.S. ont le rôle d'intervenir pour rétablir l'ordre en cas de troubles de toute nature (grèves, manifestations, etc.)
2. Nanterre: centre universitaire dans la banlieue nord-ouest de Paris où les manifestations des étudiants ont commencé à partir du 22 mars 1968.


Étude du texte
 
1. COMPRÉHENSION 
 
1.1. Quelles ont été les conséquences directes de l'affrontement entre les étudiants et les C.R.S.?
1.2. Pourquoi existait-il une crise générale de l'Université?
1.3. Selon Françoise Giroud, pourquoi les facultés des Sciences et de Médecine étaient-elles moins agitées?
1.4. Est-ce que c'est seulement le problème des débouchés qui explique le comportement des étudiants?
1.5. Selon Marcuse, en quoi l'attitude des sociétés industrielles modernes vis-à-vis des diverses oppositions a-t-elle changé?
1.6. Comment peut-on expliquer alors les sentiments éprouvés par les étudiants à la suite de la réaction disproportionnée des C.R.S.?
1.7. Selon Françoise Giroud, quel risque courent les jeunes qui sont en train d'inventer une nouvelle société?
 
2. ANALYSE et DISCUSSION
 
2.1. Faites le plan du texte. Donnez des titres à chaque partie que vous avez trouvée.
2.2. Comparez la situation de 1968 telle qu'elle se présente dans le texte donnée avec la nôtre. Est-ce qu'on devrait avoir - de nos jours - des manifestations d'étudiants dans notre pays? Pour quels motifs? Avec quelles conséquences? Pour quelles idées seriez-vous prêt(e) à manifester?
2.3.  Les jeunes sont-ils condamnés à ressembler tôt ou tard à leurs parents? Discutez.
2.4. Que représente pour vous la perspective d'entrer dans la vie professionnelle? Quels débouchés vous seront offerts à la fin de vos études?

 
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