F - Stufe 13 - Arbeit Nr. 10 - GreenButterSolutions

Direkt zum Seiteninhalt

Hauptmenü:

F - Stufe 13 - Arbeit Nr. 10

FRANZÖSISCH > ARBEITEN > Stufe 13
André Malraux
 

André Malraux

 


TEXTE


    [...]  
    Mais il devait bientôt entrer en contact avec la vie
    d'une façon brutale; un matin, à Lausanne, je reçus une
    lettre dans laquelle un de nos camarades m'informait que
    Pierre venait d'être inculpé dans une affaire d'avorte-
05   ment; et, deux jours plus tard, une lettre de lui, où je
    trouvai quelques détails. Si la propagande en faveur du
    malthusianisme était active dans les sociétés anarchistes,
    les sages-femmes qui acceptaient de provoquer l'avortement
    par conviction étaient fort peu nombreuses, et un com-
10   promis intervenait: elles provoquaient l'avortement «pour
    la cause» mais se faisaient payer. Pierre, à maintes
    reprises, avait, mi par conviction, mi par vanité, donné
    les sommes que n'auraient pu trouver seules des jeunes
    femmes pauvres. Il disposait de la fortune qu'il avait
15   héritée de sa mère, ce que néglige le rapport de police;
    on savait qu'il suffisait de s'adresser à lui: on le
    sollicitait souvent. À la suite d'une dénonciation,
    plusieurs sages-femmes furent arrêtées, et il fut pour-
    suivi pour complicité.
20   Son premier sentiment fut la stupéfaction. Il n'ignorait
    pas l'illégalité de ce qu'il faisait, mais le grotesque
    d'un jugement en cour d'assises, appliqué à de telles
    actions, le laissa désemparé. Il ne parvenait pas,
    d'ailleurs, à se rendre compte de ce que pouvait être un
25   tel jugement. Je le voyais alors souvent, car on l'avait
    laissé en liberté provisoire.
    Les confrontations n'avaient pour lui aucun intérêt: il ne
    niait rien. Quant à l'instruction, menée par un juge à
    barbe, indifférent et préoccupé surtout de réduire les
30   faits à une sorte d'allégorie juridique, elle lui semblait
    une lutte contre un automate d'une médiocre dialectique.
    Un jour, il dit à ce juge qui venait de lui poser une    
    question: «Qu’importe? - Eh! répondit le juge, cela n'est
    pas sans importance pour l'application de la peine ...»
35   Cette réponse le troubla. L'idée d'une condamnation réelle
    ne s'était pas encore imposée à lui. Et, bien qu'il fût
    courageux et méprisât ceux qui devaient le juger, il
    s'appliqua à faire intervenir en sa faveur auprès d'eux
    tous ceux qu'il put atteindre: jouer sa vie sur cette
40   carte sale, ridicule, qu'il n'avait pas choisie lui était
    intolérable.
    Retenu à Lausanne, je ne pus pas assister aux débats.
    Pendant toute la durée du procès, il eut l'impression d'un
    spectacle irréel; non d'un rêve, mais d'une comédie
45   étrange, un peu ignoble et tout à fait lunaire. Seul, le
    théâtre peut donner, autant que la cour d'assises, une
    impression de convention. Le texte du serment exigé des
    jurés, lu d'une voix de maître d'école las par le
    président, le surprit par son effet sur ces douze
50   commerçants placides, soudain émus, visiblement désireux
    d'être justes, de ne pas se tromper, et se préparant à
    juger avec application. L'idée qu'ils ne pouvaient rien
    comprendre aux faits qu'ils allaient juger ne les troublait
    pas un instant. L'assurance avec laquelle certains témoins
55   déposaient, l'hésitation des autres, l'attitude du
    président lorsqu'il interrogeait (celle d'un technicien
    dans une réunion d'ignorants), l'hostilité avec laquelle il
    parlait à certains témoins à décharge, tout montrait à
    Pierre le peu de relation entre les faits en cause et cette
60   cérémonie. Au début, il fut intéressé à l'extrême, le jeu
    de la défense le passionnait. Mais il se lassa, et, pendant
    l'audition des derniers témoins, il songeait en souriant:
    «Juger, c'est, de toute évidence, ne pas comprendre,
    puisque si l'on comprenait, on ne pourrait plus juger.» Et
65   les efforts du président et de l'avocat général pour
    ramener à la notion, commune et familière aux jurés, d'un
    crime, la suite de ces événements, lui semblèrent à tels
    points dignes d'une parodie qu'il se prit un instant à
    rire. Mais la justice, dans cette salle, était si forte,
70   les magistrats, les gendarmes, la foule étaient si bien
    unis dans un même sentiment que l'indignation n'y avait
    point de place. Son sourire oublié, Pierre trouva ce même
    sentiment d'impuissance navrante, de mépris et de dégoût
    que l'on éprouve devant une multitude fanatique, devant
75   toutes les grandes manifestations de l'absurdité humaine.
    Son rôle de comparse l'irritait. Il avait l'impression
    d'être devenu figurant, poussé par quelque nécessité dans
    un drame de psychologie exceptionnellement fausse, et
    acceptée par un public stupide; écoeuré, excédé,ayant perdu
80   jusqu'au désir de dire à ces gens qu'ils se trompaient, il
    attendait avec une impatience mêlée de résignation la fin
    de la pièce qui le libérerait de sa corvée.
    C'est seulement lorsqu'il se trouvait seul dans sa cellule
    (où il avait été incarcéré l'avant-veille des débats) que
85   le caractère de ces débats s'imposait à lui. Là, il
    comprenait qu'il s'agissait d'un jugement: que sa liberté
    était en jeu; que toute cette comédie vaine pouvait se
    terminer par sa condamnation, pour un temps indéterminé, à
    cette vie humiliante et larvaire. La prison le touchait
90   moins depuis qu'il la connaissait; mais la perspective d'un
    temps assez long passé ainsi, quelque adoucissement qu'il
    pût espérer faire apporter à son sort, n'était pas sans
    faire monter en lui une inquiétude d'autant plus lourde
    qu'il se sentait plus désarmé.
95   [...]

de: André Malraux, La condition humaine, 1933

820 mots env.


QUESTIONS et DEVOIRS

1. Qu'est-ce qui est décrit dans cet extrait du roman de Malraux?
2. À quoi l'auteur compare-t-il l'audience de la cour d'assises? Justifiez votre opinion en citant le texte.
3. Expliquez le rôle de chacun des personnages dans cet extrait.
4. L'accusé décrit ses impressions tout au long du procès. Quelle critique de la justice criminelle révèlent-elles?
5. Trouvez un titre adéquat pour le texte donné.
6. L'accusé dit à la ligne 63 suiv.:
 
          «Juger, c'est, de toute évidence,
          ne pas comprendre, puisque si l'on
          comprenait, on ne pourrait plus juger.»

 
Qu'est-ce que vous pensez de cette phrase? Pourquoi?
7. Comparez ce procès à celui de Meursault dans «L'Étranger» d'Albert Camus en ce qui concerne les circonstances, les arguments et la description.
8.«La tentation du terrorisme individuel». Discutez cette thèse.

 
Besucherzaehler
Ferienparadies Azoren
Zurück zum Seiteninhalt | Zurück zum Hauptmenü