F - Stufe 12 - Arbeit Nr. 5 - GreenButterSolutions

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F - Stufe 12 - Arbeit Nr. 5

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Paul Gaugin
 

Paul Gaugin

 


TEXTE


Un week-end à la crème

Depuis que le navigateur solitaire Bernard Moitessier avait tourné le dos à
Plymouth, et à la civilisation, Henri S. n'était plus tout à fait le même homme.
«II a raison, disait-il. Nous perdons notre âme dans cette Europe pleine de
faux dieux.» Et quand son fils rapporta, à la fin du trimestre, des notes qui,
05   pour n'en être plus, ne trahissaient pas moins une allergie persistante
aux connaissances dès lors qu'il s'agissait de les contrôler, il murmura:
«Ces enfants, je les comprends ... Qui a besoin de maths? Qui a besoin
d'histoire? Qui a besoin de géographie?
- Moi, répondit sa femme, j'ai besoin d'un chèque pour le loyer et d'un autre
10   pour l'assurance de ta voiture.
- De l'argent, dit Henri S. toujours de l'argent, encore de l'argent. Nous
vivons comme des imbéciles.»
C'était le samedi de Pâques. Il avait refusé d'aller passer le week-end à la
campagne, en famille, et écoutait, pour la septième fois consécutive,
15   l'adagio d'Albinoni, en caressant sa joue rugueuse.
«Tu as des ennuis au bureau?» dit sa femme.
Henri S. haussa les épaules et s'enferma dans la salle de bains. Les
enfants traversèrent la pièce.
«M'man, on va au cinoche, dirent-ils. À un de ces jours.»
20   Elle ouvrit la bouche, la referma et observa intensément une tache sur
le tapis.
Henri S. annonça qu'il allait faire un tour.
«Tu vas en Polynésie?» dit-elle.
Il claqua la porte.
25   Quand il revint, il trouva sa femme allongée. L'obscurité avait envahi la
pièce. «Paris est vide, dit-il. Tous en train de se tuer sur les routes.»
II fourgonna dans le réfrigérateur.
«II n'y a plus d'eau gazeuse?»
Silence.
30   «Tu entends? Qu'est-ce que tu as?
- Moi? Rien, dit-elle. Je navigue.
- Quoi?
- Je dis que je navigue. Tu as raison. Nous menons une vie stupide. Alors,
je me suis arrêtée et je lis Dostoïevski.
35   - Tu sais l'heure qu'il est?
- Ça m'est égal.
- Et dîner, ça t'est égal?
- Complètement. Tu ouvriras une boîte de conserves. Comme Moitessier.
- Tu te moques de moi?
40   - Pas du tout, dit-elle. Tu m'as ouvert les yeux. Il y a quinze ans que je
vis comme une imbécile ...
- Pas toi, dit-il. Moi.
- Toi, je ne sais pas, dit-elle. Moi, certainement. Je voulais vous faire une
crème au chocolat! C'est bouffon.
45   - Tu es fatiguée? dit-il.
- Pas du tout, dit-elle. Je ne suis pas fatiguée, pas du tout. Mais qui a
besoin d'une crème au chocolat?
- Tu te moques de moi, dit-il. Tu as raison. Mais essaye de comprendre...»
Elle dit que, justement, elle avait compris. Qu'il perdait son âme à la
50   Construcmec. Mais qu'elle aussi avait une âme et qu'elle la perdait
dans la crème au chocolat, outre la crème pour les yeux, la crème pour le
cou, la crème pour le nez, la crème nourrissante, la crème astringente, la
crème pour les mains après la vaisselle, et quelques autres crèmes dont
elle avait oublié la fonction exacte mais dont il était clair qu'une femme
55   digne de ce nom ne pouvait esquiver l'emploi après avoir fait du yoga,
avant de prendre un sauna, entre deux rinçages colorants à moins qu'ils ne
soient décolorants, additionnés de moelle de veau mais on peut aussi
mettre du sucre de banane à condition de marcher tous les matins sur la
pointe des pieds et d'éviter les hydrates de carbone. «Tu fais tout ça? dit-il.
60   - Non, dit-elle. Mais j'aurais dû.
- Ça sert à quoi?
- À rester jeune-z-et-belle, dit-elle. À garder son mari, son Espagnole, sa
ligne, l'estime de ses enfants, la pratique de l'anglais, les tapis comme
neufs et un teint de jeune fille.»
65   Toutes choses dont Bernard Moitessier lui avait fait comprendre
qu'elle n'éprouvait aucun besoin réel pas même d'un tailleur pantalon et
alors voilà elle avait pris son voilier mais chacun sa navigation et
Dostoïevski pour l'âme c'était bien il y avait du thon dans le placard de
droite au-dessus des petits pois.
70   Elle reprit sa lecture.
Il la contempla un instant, l'éclaira violemment. Elle eut un doux sourire et
replongea dans son livre.
«Écoute, dit-il, d'accord on vit bêtement. Mais on pourrait se remettre au
tennis. Et puis souviens-toi ... Où on habitait, il y a cinq ans, avec le train qui
75   passait tout le temps.
- Le train, c'était bien, dit-elle. On rêvait du moment où on déménagerait.
- Maintenant aussi, on peut rêver.
- Tu crois? Non. Moi je n'ai envie de rien. C'est merveilleux. Laisse-moi lire,
s'il te plaît.»
80   II y eut un grand bruit dans l'entrée. Puis: «B'soir ... On bouffe?
- Arrangez-vous avec votre père, mes chéris, dit-elle. Moi, je me désaliène.
- Qu'est-ce qui se passe? dit l'aîné.
- Rien, dit Henri S. Tiens, voilà cinq mille francs. Allez au cinéma.
- Mais on en vient!
85   - Retournez-y.
- Mais on a faim!
- Et alors? Ça fait l'homme et ce n'est pas capable de se débrouiller sans
papa-maman pour dîner?
- Bon, bon, dit le garçon. On reviendra quand vous serez calmés.
90   - Je crois que je vais aller faire un tour, dit-elle. J'ai besoin de pluie.»
Henri S. dit qu'elle était folle, qu'il allait appeler un médecin, qu'il la
suppliait de se reprendre, de penser à lui, aux enfants, au fauteuil qu'elle
était en train de brûler avec sa cigarette.
«En Polynésie, dit-elle, tu n'en auras plus besoin de ce fauteuil.
95   - La Polynésie, dit Henri S., c'est truqué, plein de touristes et de faux
dieux. Allez, habille-toi, on prend la voiture et on file chez tes parents.
Fais-le pour moi, je t'en supplie.
- Bon, dit-elle en soupirant. Mais j'emmène Dostoïevski.»
Elle s'enferma dans sa chambre, tandis qu'il buvait un double whisky,
100   composa un numéro, et dit d'une voix posée:
«Allô, maman? Ça a marché. On arrive. Allô? Fais une crème au chocolat.»


de: http://db.francoisegiroud.fr/Article.aspx?tid=903 (15.02.2015)

975 mots env.


Étude du texte

1. COMPRÉHENSION 

1.1. Qu'est-ce que la femme d'Henri S. voulait faire pendant le week-end de Pâques?
1.2. Pourquoi Henri S. s'y est-il opposé?
1.3. Qu'est-ce qu'Henri S. reproche à la civilisation européenne?

2. ANALYSE et DISCUSSION

2.1. Dégagez la composition du texte donné.
2.2. Dressez une liste des arguments employés par Henri S. et sa femme afin d'opposer le comportement de chacun des époux.
2.3. «Pas toi, dit-il. Moi.». (l. 42) Montrez comment cette réplique marque une étape décisive de la discussion.
2.4. Dans quel but la femme se comporte-t-elle ainsi?
2.5. Comment Henri S. essaie-t-il de se réconcilier avec elle?
2.6. À votre avis, Henri S. serait-il capable de mener une vie «solitaire»?
2.7. Est-il possible de retrouver dans la société de consommation les joies d'une vie simple et sans contraintes sociales?

 
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